samedi 15 octobre 2011

"Je suis bien avec les putains, elles m'émeuvent"


Le sexe, Bertrand Bonello connait bien. Le Pornographe, sorti en 2001, n'était pas moins que l'histoire d'un réalisateur, Jacques Laurent, obligé de se remettre en activité pour des questions financières. En apparence, un film sur le sexe. Mais Bonello sait utiliser l'image, la couleur et les acteurs pour transcender ce sujet simplet voire cliché. Après la pornographie, Bonello s'attaque à la prostitution de la fin du 19è siècle. Il raconte et montre cet univers aussi fascinant que repoussant. L'Apollonide parvient à prendre au piège le spectateur, à l'enfermer voire à le transformer en putain ou en animal.


Un couloir vide, un bruit de talons qui claquent sur le parquet et une cloche qui résonne au loin. L'Apollonide débute ainsi. On y est, dans la maison close. Malgré nous, on ne peut plus en sortir. Le voyeurisme s'installe dès les premières minutes. Le quotidien de ces filles est exposé sans pudeur. On s'immisce dans leur vie, on observe d'un coin de l'œil. Elles s'habillent, toutes ensemble, elles s'aident, se touchent et s'embrassent. L'habillage est érotique, somptueux, les filles posent comme pour un tableau. Le  réalisateur nous montre des bribes de vie. Il suit une fille, puis une autre, pour revenir ensuite, quelques scènes plus tard, à cette première fille. On comprend alors que le temps n'avance pas. Jusqu'au moment où il y a la nouvelle, « la petite ». Le fil de la réalité reprend le dessus. Tout devient clair. Les catins accueillent cette jeune fille de quinze ans et lui expliquent le fonctionnement de la maison. Le spectateur devient une fille de joie. La petite découvre la vie de prostituée qu'elle est persuadée de quitter quand elle aura accumulé assez d'argent. L'argent. Elles sont toutes venues pour ça. Paradoxalement, c'est ce qui les a enfermé. Elles croulent sous les dettes. 
Le quotidien envahit le film. Les images se répètent parce que les journées se suivent et se ressemblent. On voit ces hommes entrer dans le salon, fumer, parler avec les prostituées et les emmener dans des chambres. C'est toujours comme ça. Une fois dans la chambre, l'homme est libre de tout. Tous les fantasmes sont réalisables ; de la femme-poupée au bain de champagne en passant par la scatophilie et la femme-Geisha. Alors la putain n'est plus rien, seulement un objet qui se plie à toutes les envies. Le plaisir sexuel est impossible, le plaisir ne se fait que dans un sens. La liberté est aussi  unilatérale : « formidable, ici tu peux voir les filles sans corset » découvre l'un des hommes. Une sorte d'animalité se crée. Les hommes ont une attitude fauve parce qu'ils s'oublient et jouent avec leur proie. Ils sont fidèles à certaines filles et demandent souvent la même chose. Un jeu de rôle s'installe entre la putain et le client. Elle incarne un idéal sexuel, lui, il incarne un mari potentiel. Ces filles croient en leur liberté parce que les hommes leur donnent de l'importance « après une nuit avec toi, je pourrais me suicider ». Elles espèrent des jours meilleurs, sortir de cette maison close pourtant si douillette. 
En attendant, pour survivre, elles boivent, fument de l'opium ou ferment les yeux. La souffrance est à la fois physique et morale. Elles s'échappent dans leur tête ou fixent un petit un insecte pendant qu'elles sont en levrette. L'ailleurs est un échappatoire. Et la dérision aussi « si je sors d'ici un jour, je fais plus l'amour ». Lors de repas, elles s'amusent à lire leur avenir dans les cartes, à dénigrer leurs clients, à ironiser sur leur situation. Mais la réalité les prend de plein fouet : « il faut s'allonger et écarter les jambes, il n'y a pas de secret ». Ce film navigue entre ironie et désespoir. Et toujours, cette envie de vomir ne quitte pas le spectateur. Un dégout face à leur vie, face à la violence, face à la dépendance, face à l'inhumanité, tout simplement. Ces filles ne sont rien. Un monstre pour l'une d'entre elles, « la fille qui rit » dit-on. Jamais elle ne pourra cesser de rire alors que la tristesse est son quotidien. Elle a aimé un client fidèle. Elle en rêvait la nuit. Alors elle a été punie. La fille qui rit devient l'objet de toutes les curiosités. Elle est offerte en pâturage lors d'une soirée libertine à une bourgeoisie désinhibée. 
Pendant que la fille qui rit continue de survivre, d'autres meurent de syphilis et ironisent toujours « putain de métier de putain ». Pendant que certaines sont face à une réalité répugnante qui dit que « la prostituée est à la femme ce que le criminel est à l'homme », d'autres décident de ne jamais revenir à cette vie en se noyant dans la drogue. Le spectateur est une putain qui mélange, lui aussi, réalité et imaginaire. Une seule chose est sure, l'enfermement est éternel. Et quand les lumières s'éteignent et que le générique défile, l'envie de vomir est toujours présente.

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