Le sexe, Bertrand Bonello connait bien. Le Pornographe,
sorti en 2001, n'était pas moins que l'histoire d'un réalisateur,
Jacques Laurent, obligé de se remettre en activité pour des
questions financières. En apparence, un film sur le sexe. Mais
Bonello sait utiliser l'image, la couleur et les acteurs pour
transcender ce sujet simplet voire cliché. Après la pornographie,
Bonello s'attaque à la prostitution de la fin du 19è siècle. Il
raconte et montre cet univers aussi fascinant que repoussant.
L'Apollonide parvient
à prendre au piège le spectateur, à l'enfermer voire à le
transformer en putain ou en animal.
Un couloir vide, un bruit de talons qui claquent sur le parquet et
une cloche qui résonne au loin. L'Apollonide débute ainsi.
On y est, dans la maison close. Malgré nous, on ne peut plus en
sortir. Le voyeurisme s'installe dès les premières minutes. Le quotidien
de ces filles est exposé sans pudeur. On s'immisce dans leur vie, on
observe d'un coin de l'œil. Elles s'habillent, toutes ensemble,
elles s'aident, se touchent et s'embrassent. L'habillage est
érotique, somptueux, les filles posent comme pour un tableau.
Le réalisateur
nous montre des bribes de vie. Il suit une fille, puis une autre, pour revenir ensuite, quelques scènes plus tard, à cette première fille. On comprend alors que le temps n'avance pas. Jusqu'au moment où il y a la nouvelle, « la petite ».
Le fil de la réalité reprend le dessus. Tout devient clair. Les catins accueillent cette jeune fille de quinze ans et lui expliquent le fonctionnement de la maison. Le spectateur devient une fille de joie. La petite découvre la vie de prostituée qu'elle est
persuadée de quitter quand elle aura accumulé assez d'argent. L'argent. Elles sont toutes venues pour ça. Paradoxalement,
c'est ce qui les a enfermé. Elles croulent sous les dettes.
Le quotidien envahit le film. Les images se répètent parce que les journées se suivent et se
ressemblent. On voit ces hommes entrer dans le salon, fumer, parler
avec les prostituées et les emmener dans des chambres. C'est
toujours comme ça. Une fois dans la chambre, l'homme est libre de
tout. Tous les fantasmes sont réalisables ; de la femme-poupée au
bain de champagne en passant par la scatophilie et la femme-Geisha.
Alors la putain n'est plus rien, seulement un objet qui se plie à
toutes les envies. Le plaisir sexuel est impossible, le plaisir ne se
fait que dans un sens. La liberté est aussi unilatérale : « formidable, ici
tu peux voir les filles sans corset » découvre l'un des
hommes. Une sorte d'animalité se crée. Les hommes ont une attitude
fauve parce qu'ils s'oublient et jouent avec leur proie. Ils sont fidèles à certaines filles et demandent
souvent la même chose. Un jeu de rôle s'installe entre la putain et
le client. Elle incarne un idéal sexuel, lui, il incarne un mari potentiel. Ces filles croient en leur liberté parce que les hommes leur donnent de l'importance « après
une nuit avec toi, je pourrais me suicider ». Elles espèrent
des jours meilleurs, sortir de cette maison close pourtant si
douillette.
En attendant, pour survivre, elles boivent, fument de
l'opium ou ferment les yeux. La souffrance est à la fois physique et
morale. Elles s'échappent dans leur tête ou fixent un petit un
insecte pendant qu'elles sont en levrette. L'ailleurs est un
échappatoire. Et la dérision aussi « si je sors d'ici un
jour, je fais plus l'amour ». Lors de repas, elles s'amusent à
lire leur avenir dans les cartes, à dénigrer leurs clients, à
ironiser sur leur situation. Mais la réalité les prend de plein
fouet : « il faut s'allonger et écarter les jambes, il n'y a pas
de secret ». Ce film navigue entre ironie et désespoir. Et
toujours, cette envie de vomir ne quitte pas le spectateur. Un
dégout face à leur vie, face à la violence, face à la
dépendance, face à l'inhumanité, tout simplement. Ces filles ne
sont rien. Un monstre pour l'une d'entre elles, « la fille qui rit » dit-on. Jamais elle ne pourra cesser de rire alors que la tristesse
est son quotidien. Elle a aimé un client fidèle. Elle en rêvait la
nuit. Alors elle a été punie. La fille qui rit devient l'objet de
toutes les curiosités. Elle est offerte en pâturage lors d'une
soirée libertine à une bourgeoisie désinhibée.
Pendant que la
fille qui rit continue de survivre, d'autres meurent de syphilis et
ironisent toujours « putain de métier de putain ».
Pendant que certaines sont face à une réalité répugnante qui dit
que « la prostituée est à la femme ce que le criminel est à
l'homme », d'autres décident de ne jamais revenir à cette
vie en se noyant dans la drogue. Le spectateur est une putain
qui mélange, lui aussi, réalité et imaginaire. Une seule chose est
sure, l'enfermement est éternel. Et quand les lumières s'éteignent
et que le générique défile, l'envie de vomir est toujours
présente.
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